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La pilule
17 février 2016

La théorie de l'intuition

Par théorie de l'intuition, j'entends ici non pas celle qui regarde comme produits par l'hérédité ou des expériences prolongées les sentiments d'amour ou d'aversion que nous inspirent certains genres d'actes, mais bien la théorie d'après laquelle ces sentiments nous viennent de Dieu lui-même, indépendamment des résultats expérimentés par nous ou par nos ancêtres. «Il y a donc, dit Hutcheson, comme chacun peut s'en convaincre par une sérieuse attention et par la réflexion, un penchant naturel et immédiat à approuver certaines affections et certains actes qui leur répondent;» Hutcheson admettait, avec ses contemporains, la création spéciale de l'homme et de tous les autres êtres; il considérait donc «ce sens naturel d'une excellence immédiate» comme un guide d'origine surnaturelle. Il dit bien que les sentiments et les actions dont nous reconnaissons ainsi intuitivement la bonté «s'accordent tous en un caractère général, celui de tendre au bonheur des autres;» mais il est obligé d'y voir l'effet d'une harmonie préétablie. Néanmoins on peut établir que l'aptitude à procurer le bonheur, représentée ici comme un trait accidentel des actes qui obtiennent cette approbation morale innée, est réellement la pierre de touche qui révèle le caractère moral de cette approbation. Les intuitionnistes mettent leur confiance dans ces verdicts de la conscience, uniquement parce qu'ils aperçoivent, d'une manière au moins confuse, sinon distincte, que ces verdicts s'accordent avec les indications de ce critérium suprême. En voici la preuve. Par hypothèse, on apprécie donc la gravité d'un meurtre grâce à une intuition morale que l'esprit humain doit à sa constitution originelle. D'après cette hypothèse, il ne faudrait pas admettre que ce sentiment de la culpabilité naisse, de près ni de loin, de la conscience que le meurtre implique, directement ou indirectement, une diminution du bonheur. Si vous demandez à un partisan de cette doctrine d'opposer son intuition à celle d'un Figien qui regarde le meurtre comme un acte honorable et n'a pas de repos avant d'avoir massacré quelques individus; si vous lui demandez comment on justifiera l'intuition de l'homme civilisé par opposition à celle du sauvage, il n'aura qu'un seul moyen de le faire, c'est de montrer comment, en se conformant à l'une, on arrive au bien-être, tandis que l'autre produit seulement des souffrances particulières ou générales. Demandez-lui pourquoi son sens moral, lui enseignant qu'il est mal de dérober le bien d'autrui, doit être obéi plutôt que le sens moral d'un Turcoman qui prouve combien le vol lui paraît méritoire en faisant des pèlerinages et en portant des offrandes aux tombeaux de voleurs fameux: l'intuitionniste est réduit à reconnaître que,--du moins dans des conditions comme celles où nous vivons, sinon dans celles où le Turcoman est placé,--le mépris du droit de propriété chez les autres non seulement cause une misère immédiate, mais encore implique un état social qui ne saurait comporter aucun bonheur. Demandez-lui encore de justifier le sentiment de répugnance que le mensonge lui inspire, en opposition avec le sentiment d'un Égyptien qui s'estime pour son adresse à mentir, qui croit même très beau de tromper sans autre but que le plaisir de tromper: l'intuitionniste ne le fera qu'en montrant la prospérité sociale favorisée par une entière confiance mutuelle et la désorganisation sociale liée à la défiance universelle; or ces conséquences conduisent respectivement, de toute nécessité, à des sentiments agréables ou à des sentiments désagréables.

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